- Les Silos
- de
- Monflanquin
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- Les
travaux en cours dans la Bastide ont permis de découvrir des fosses ovoïdes creusées
dans le sol. Leur intérêt sur le plan historique n'est pas des moindres.
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- Leur
localisation, leur identification faites, il est indispensable de laisser la parole aux
spécialistes sur un problème oùles réponses sont partagées entre les tenants de
deux écoles. L'une dite, pour la facilité de classification, "spiritualiste"
et l'autre dite "matérialiste".
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- X X
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- X
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- Les silos de Monflanquin
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- a : Passelaygue
- b : Mjc
- c : "oie"
- d : carrerot Palissy
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Les travaux de réfection du sol, dans la cave de la Maison des Jeunes, faisant
angle entre la Cornière Basse et le Carrerot des Cabanes, ont permis de découvrir une
fosse ovoïde (b), aujourd'hui recouverte
par un dallage.
La rénovation du Carrerot des Cabanes, en 1991, a mis à jour un silo qui serait passé
inaperçu sans l'attention alertée de l'un des intervenants, R. DELPECH, amateur
d'archéologie à ses moments perdus.
La remise en état du Carrerot Palissy en 1993 a donné un résultat analogue, toujours
grâce à l'attention de R. DELPECH. Cette fois deux fosses ont été répertoriées avant
que l'on y remette de la terre par souci de protection en attendant de prendre une
décision.
Il n'est
pas impossible que la cavité mentionnée dans la cave de la maison PASSELAYGUE (a) ait été un silo avant que d'être éventrée par la paroi de
la cave creusée par la suite. L'hypothèse mérite d'être étudiée.
A
l'angle de la rue des Arcades et de la rue Saint Pierre, dans sa partie haute, l'abbé
DOUMAX (5) signalait "une excavation naturelle qui sert de cave et qui certainement
formait une grotte abri. Par suite de remaniements ultérieurs, la voûte a été
enlevée..." I1 ne semble pas qu'il soit possible de confondre grotte / abri et silo,
sauf à solliciter le texte.
Peut-être
simple conséquence de découvertes limitées, peut-être résultat d'une installation
humaine limitée à cet espace, il n'en demeure pas moins que la localisation est
restreinte à la partie médiane de la bastide.
Le silo de "l'oie"
A mi
partie donc du Carrerot des Cabanes un silo (c) a été découvert en 1991 lors des travaux de
réfection et de dallage. La présence de vieux os d'oie lui a valu le nom de "silo
de l'Oie". La première observation à faire est que sans la présence d'une personne
en alerte, en raison de son intérêt pour l'archéologie et l'histoire, ce simple trou
serait passé inaperçu et aurait été comblé.
La
seconde observation est l'oubli dans lequel ces silos sont tombés. La mémoire orale, qui
souvent donne des indications intéressantes, ne les avait pas pris en compte.
La
troisième observation est que contrairement aux silos de la Maison des Jeunes et de la
Culture et de la Maison des Artistes celui-ci est en plein air. Dans la mesure où le
carrerot a été tracé dès l'origine, il est permis de
penser qu'il a pris en compte dans son parcours ce trou qui préexistait. En effet comment
admettre que l'on ait creusé dans le carrérot, lieu de passage.
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Silo de l'oie : extérieur |
Dans
cette logique, le silo de l'Oie semble devoir être situé dans une période précédent
la naissance de la bastide, c'est à dire précédent le XIII* siècle. (6).
'Alors
se pose une série de questions:
- Ce silo
est-il contemporain de ceux trouvés dans les maisons ?
- Ce
silo était-il dépendant d'un habitat isolé ou d'un habitat groupé ?
A cet
égard l'emplacement des silos n'est pas sans intérêt :
- Quelle
est la nature de ce silo ? A quoi correspond-il ?
En fait
ces questions se posent pour l'ensemble des "silos" et font qu'il existe un
problème des silos aux yeux des spécialistes.
X X
X
Le problème des silos
Les formes
ovoïdes creusées dans le roc sont très nombreuses en France. Près de MONFLANQUIN il y
a celles de PENNE (I), de TOURNON (2) et de CANCON (3). Si une bonne partie se trouve en
pleine campagne, d'autres se situent soit dans des bâtiments soit aussi dans des
souterrains, des habitats troglodytiques ou des grottes (4).. Si une bonne partie se
trouve en pleine campagne, d'autres se situent soit sous des bâtiments, soit dans des
souterrains, des habitats troglodytidues ou des grottes.
"Quelle
est la destination de ces fosses ovoïdes qui, pour la plupart, semblent dater dans notre
pays du Moyen Age?
Les auteurs qui s'en occupent les classent en gros en deux principales catégories,
les fosses à offrandes et les silos. I1 estmalheureusement difficile d'avoir une
certitude absolue sur cette classification qui reste subjective, à moins d'avoir affaire
à des cas tout à fait typiques : fosses liées à des cimetières anciens (mérovingiens
en France), contenant des offrandes aux défunts (mais attention aux dépotoirs !) d'une
part et découverte des grains ou restes de provisions d'autre part."
"Les
tenants de l'école *hypogée [Hypogée : excavation ou construction
souterraine servant de tombea ] , spiritualiste, verront de préférence
des fosses à offrandes aux morts là où ceux de l'école souterrain / refuge,
plusmatérialistes, opteront pour des silos. Il existe aussi, ne l'oublions pas, des fosses
ovoïdes ayant servi de tombes."
"D'autres
se gardent de prendre parti systématiquement, penchent pour l'une ou l'autre solution selon le matériel archéologique
retrouvé, le contexte ou la tradition orale, mais
gardent un silence prudent pour les fosses à
destination non identifiable, qui sont l'énorme majorité.".
Silos Funéraires
THOLIN,
dès 1877, attire l'attention sur l'existence dans le Lot et Garonne d'une part des
cluzeaux (7) qu'il appelle les **croses [ Cros
signifie, en occitan, creux et peut s'utiliser à la fois pour cachette et pour
silo, tombe. Aussi est-il préférable de garder la terminologie de Cluzeau pour les
refuges souterrains (9) ] et d'autre part de silos (8). Il donne cette description des
silos : "Dans le talus quatre tombe
|
Silo de l'oie : intérieur |
s
tranchées par des travaux. Trois avaient exactement la forme de ballons de verre dont on
se sert pour les préparations chimiques. Elles étaient rondes (hauteur I mètre 30,
largeur I mètre 20, largeur de l'orifice supérieur 0 mètre 60 ). J'ai retiré de l'une
de ces fosses un crâne qui touchau l'orifice; la position des os des bras et des
jambes m'a indiqué clairement que le cadavre avait été enseveli accroupi ou plutôt
assis... Ces ossements humains, non incinérés, étaient associés à des fragments de
poterie grise grossière, mais faiteautour, et à des débris de lignite ou de charbon
..."
"L'incinération
dans les tombes circulaires creusées dans le tuf a été fréquemment constatée...
souvent le dessus des tombes est couvert de débris de poteries et d'ossements
d'animaux... sans doute les restes de repas funéraires. Tombeaux que l'on attribue à
l'âge de fer."
"
Mais peut-on dater de façon identique les silos où les morts sont inhumés assis ou
accroupis et les silos où les morts sont incinérés ?"
MASSIP
(3) se rallie à la thèse de THOLIN quand, à son tour, il évoque la vingtaine de
"silos funéraires" de CASSENEUIL et énumère ceux de CANCON, LENTIGNAC,
SENESELLE, BOUDY, ROUDET et AIGUEVIVE.
Silos à offrandes
Jean
BORDENAVE et Michel VIALELLE (IO) se font les avocats d'une
variante de cette hypothèse. En effet les cluzeaux sont, à leurs yeux, des hypogées et
les silos des fosses à offrandes.
"Offrandes
alimentaires, repas funèbres sont attestés dans les catacombes sous des formes
très proches des pratiques païennes. Certains évêques craignaient les abus et les
superstitions jointes au culte des morts, abus qui subsisteront dans les campagnes et dans
certaines provinces lointaines pendant le Moyen Age. Ainsi les premiers chrétiens
continuèrent de se réunir auprès des tombeaux pour offrir des banquets."
"Les
danses et les repas dans les églises et les cimetières seront une préoccupation
constante de l'église à la fin du Moyen Age. Si la croyance aux réincarnations et à
l'éternité du monde se répand au XIII* siècle dans la population, si elle faisait
partie de la sagesse populaire c'est qu'elle n'avait jamais quitté nos campagnes depuis
les croyances celtiques sur l'au-delà jusqu'à la métempsycose cathare et la croyance
aux revenants. Cette notion pour laquelle nos monuments funéraires ont servi de support
doit s'intégrer dans la réflexion de l'homme médiéval sur la mort".
"
Si l'église a condamné ces pratiques de mener danses, faire bacchanales et autres
insolences es Eglises et es Cimetières, elle s'est efforcée d'en christianiser d'autres
tel le dépôt de cendres et charbon de bois dans les tombes".
Silos à grains
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Terrassements et découvertes |
Autre
hypothèse, plus matérialiste : il s'agit de silos à grains dont on retrouve des
exemples dès la préhistoire, puis tout au long de l'histoire jusqu'à un passé récent.
Sans
doute, les hommes ont-ils de tout temps fait des réserves, quand la chasse et 1a
cueillette leur souriaient (fruits secs, viande séchée ou fumée...). Mais pour nourrir
les populations sédentaires et grandissantes du néolithique il faut des récoltes plus
abondantes, et surtout garder les provisions plus longtemps. Alors apparaissent les silos.
(II).
Plusieurs villages néolithiques ont été retrouvés dans
le croissant fertile : en Irak, Syrie, Turquie. Les fouilles ont montré qu'ils avaient
été occupés plusieurs fois au cours desmillénaires. Plus près de nous, en 1600,
Olivier de SERRES écrit qu'en GUYENNE il y a "des fosses profondes creusées dans la
terre qu'on appelle Gros dans lesquelles on descend avec eschelles pour y porter et
rapporter le bled " ( I2).
L'abandon
des " Cros " s'explique, vraisemblablement, par la propagation de techniques
apparemment plus évoluées c'est à dire le grenier, le coffre à grains Il est notable
que cet abandon se situe aux environs de 1700. Un siècle environ plus tard, l'on ne sait
même plus ce qu'est un Cros. Quelques érudits du cru les prennent pour des oubliettes,
la population les assimile à des cachettes quidateraient de l'occupation anglaise ; même
les agronomes ne sont plus au courant.
Aspects techniques
Pourquoi
des silos àgrains souterrains ? F.SIGAUT nous aide à répondre à cette question
(I3).
"Sur
le plan économique, l'argument du bon marché est sans doute plus pertinent et plus
général que celui qui veut que les silos soient avant tout des cachettes contre les
voleurs ou les ennemis. Cachettes assez peu sûres en réalité."
"La
recherche de l'étanchéité à l'air est plus déterminante encore peut-être que celle
de l'économie. Avant l'époque contemporaine, en effet, le stockage en atmosphère
confinée était le seul moyen de lutter contre les insectes qui
fut à la mesure de volumes de grains importants, et lessilos souterrains étaient le seul moyenpratique de
réaliser une atmosphère au moins approximativement confinée... De plus il n'y a pas
d'autre grenier possible que le silo pour une conservation d'une certaine durée et la
raison n'en est pas seulement dans la rapidité prodigieuse avec laquelle le charançon
pullule, mais aussi dans la tendance qu'a le grain à s'échauffer lorsqu'on veut le
conserver à l'air libre".
"Paradoxalement
il s'avérera plus difficile d'obtenir un bon degré d'étanchéïté, avec les techniques
modernes au XIX siècle qu'avec les techniques traditionnelles... Une certaine
humidité, dans l'argile notamment, contribue à freiner la circulation des gaz. Lorsque
les conditions de sol sont favorables le seul point faible est la bouche du silo..."
"I1
faut souligner enfin qu'il se pourrait que le grain conservé en silo, même dans de
bonnes conditions, subisse des modifications qui altèrent ses qualités boulangères mais
l'altèrent pas, voire même peut-être améliorent, ses qualités comme gruau".
Spiritualité et
matérialisme
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Terrassements en 1991 / 1993 |
H. POLGE
(I2) essaie de concilier les deux thèses en présence et pour cela s'appuie sur
lamorphologie des silos.
"Les
auteurs qui relatent la découverte d'un cros manquent rarement d'en souligner la forme,
qu'ils comparent à celle d'une jarre, d'un entonnoir renversé, d'une poire... Mais ils
ne paraissent guère se poser la question de savoir pourquoi nos silos affectent une
formeaussi étrange, alors qu'il est plus facile de forer une excavation cylindrique
qu'un trou ovoïdal."
"Des
raisons mystiques ont pu jouer à l'origine... Dans une telle perspective le silo
souterrain procéderait initialement d'une spéculation mystique bien plus que d'une
pensée rationelle et pratique."
"Secondairement
le silo est affecté à des fins positives; il n'en conserve pas moins sa forme originelle
et cette forme il est probable qu'il l'a retransmise aux récipients qui lui ont
succédé, telle que les jarres ".
Les
silos de MONFLANQUIN, comme tous ceux que l'on retrouve, méritent donc la plus grande
prudence quand il s'agit d'en expliquer l'existence et de les dater. I1 est donc fortement
recommandé d'attendre que des travaux
archéologiques soient entrepris avant que de se prononcer. En ayant au demeurant
l'impression qu'une grande part subjective habite les spécialistes dans leurs
conclusions./.
Georges ODO
Sous les Arcades n° 337
- 1993
B I B L I 0 G R A P H I E
(I) GOGNAU
J.-LABORDE Y. "Fosses ovoïdes à PENNE D'AGENAIS" - Subterranea
n° 15,1975
(2) LORENZ
C. "Fosses médiévales à TOURNON" - Subterranea n° 13,19'75.
(3) MASSIP
L. "CANCON en Agenais." - 1851.
(4) MAUNY
R. "Contributions à l'étude des fosses ovoïdes et silos" - CNRS
1979.
(5) Abbé
DOUMAX "Conférence sur 1fiONFLANQUIN" - Dactylographiée.
(6) ODO G.
"MONFLANQUIN, la bastide au XIII° Siècle" - Sous les Arcades n°
332, 1993.
(7) ODO G.
"Les souterrains de MONFLANQUIN" - Sous les Arcades n° 325,1992.
(8) THOLIN
Y. "Les silos funéraires" - Revue de l'Agenais 1877.
(9)
AVRILLEAU S. "Cluzeaux et souterrains du Périgord" - 1975.
(10)
BORDENAVE J. et VIALELLE M."Aux racines du mouvement cathare " - 1973.
(Il)
"La préhistoire" - Nathan 1985.
(I2) POLGE H.
"Lou Cros" - CNRS 1979.
(I3)
SIGAUT F. "Les fosses ovoïdes" - CNRS 1979
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