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1256 … 2006
750° anniversaire de la
Bastide
Un urbanisme
orthogonal
Les Bastides de la
première génération,
une quinzaine environ établies autour de Montauban entre
Tarn et Aveyron par les comtes de Toulouse au lendemain
de la croisade des Albigeois, en sont les plus
représentatives. Elles se caractérisent par une
planification souple et discrète, pliée aux données du
relief qui est l'élément structurant prioritaire.
Les Bastides de la
seconde génération
sont caractérisées par
la cinquantaine de Bastides construites par Alphonse de
Poitiers qui a érigé leurs créations en système..... Aux
anciens tracés dépendants des contraintes du site ou du
dénombrement préétabli de la communauté se substituent
des programmes types, rationalisés, systématisés,
adaptables à tous les cas de figure rencontrés, plus
conformes à une politique véritable d'urbanisation qui
elle-même se systématise
Le plan
orthogonal de Monflanquin ignorant totalement la
déclivité du site retenu prouve à l'évidence l'existence
d'un tracé préétabli. Se pose donc le problème de la
personnalité des concepteurs. Alphonse de
Poitiers semble avoir fait appel dans un certain nombre
d'opérations à un notaire royal d'Agen, du nom de Pons
de Maynard, que l'on repère lors du traçage de Montréal
du Gers, à Villeneuve sur Lot, Villefranche du Périgord,
Castillonnés et probablement à Monflanquin . Peut on
aller jusqu'à penser que Pons de Maynard est le
concepteur de ces Bastides ?.
Il y a
de fortes présomptions car toutes les Bastides dont il a
la responsabilité sont établies sur un modèle identique,
qu'il ne sera pas le seul à utiliser; on le retrouve
notamment à Monpazier sous la responsabilité d'un
"entrepreneur" Bertrand de Panissel, mais qu'il est le
premier à mettre en œuvre dés 1252-1253 à Monflanquin.
Dans cette hypothèse Monflanquin devient sous l'autorité
de Pons de Maynard le prototype de la Bastide Alphonsine
sur le plan urbanistique
.
Par
ailleurs les documents n'apportent aucune précision sur
les techniques de tracé employées par les arpenteurs
et les topographes de l'époque. De toute évidence le
triangle de Pythagore (3-4-5), qui permettait de tracer
les angles droits à l'aide d'une corde à douze nœuds,
fut largement utilisé. Encore faut – il lire
attentivement l’article 10 de la charte qui avance la
notion de parcelles de 4 cannes sur 12. Tout se passe
comme si la largeur des rues charretières, c'est à dire
principales, avait
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constitué la mesure unitaire des arpenteurs.
.
La
méthode utilisée, le tracé systématique et la structure
répétitive nous amène à la notion de rationalisation
de l'urbanisme. L'efficacité du plan et la nouvelle
esthétique du rationnel qu'il exprime, s'inscrivent dans
un contexte idéologique en mutation lui aussi. Les
Ordres mendiants diffusent à la fois de nouvelles
structures de pensée et une architecture nouvelle, le
gothique, qui partout se substitue aux anciennes formes
romanes. Au même moment une bourgeoisie naissante de
boutiquiers et de marchands se fait l'écho autour des
mesures à grains et des "maisons de ville" de tout
projet visant à exprimer une société ouverte et
égalitaire, susceptible de se substituer aux anciennes
sociétés rurales, fermées et hiérarchisées.
.
La
conception rationnelle de l'utilisation de l'espace qui
prend ici son essor, l'Europe l'a utilisée en Espagne,
Italie, Suisse, Tchéquie, Pologne, Grande Bretagne ….
avant de l'exporter à St Louis du Sénégal, au Chili, aux
Etats Unis.....après l'avoir héritée de l'Antiquité dont
la connaissance avait été conservée dans les monastères.
L'hypothèse d'une tradition qui relie l'antiquité à la
Renaissance et dont les Bastides constituent un des
jalons permet de comprendre sous un angle nouveau le
rationalisme en matière de lotissement urbain, lequel
n'est pas né avec le mouvement moderne, mais procède
d'une tradition millénaire où les exigences d'économie
et d'efficacité des tracés, ajoutées aux dimensions
constructives usuelles conduisent à des solutions
voisines dans le temps et dans l'espace.
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Cette
prise en considération de l'aspect rationnel qui
sous-tend la construction de la Bastide de Monflanquin
illustre la mutation idéologique en cours qui dépasse
l'analogie symbolique ambiante au XIII° siècle.
.
Un tel
constat prouve, s'il en était besoin, que le Moyen Age
n'est pas cette "sombre " période d'irrationalité que
l'on brosse trop souvent et que son intérêt pour
l'analogie des symboles ne doit pas masquer les
symptômes de rationalité qui l'habitent et dont l'essor
se confirmera progressivement.
Odo Georges |